1974 stanley Milgram
Jusqu'où peut-on aller par obéissance é En découvrant les expériences que le psychosociologue américain Stanley Milgram a menées dans les années 50, le lecteur ne peut être que partagé entre des questionnements sur l'âme humaine, et une interrogation plus personnelle : dans la même situation, qu'aurais-je fait é
Imaginez la situation suivante, que Milgram a proposée à ses sujets : vous acceptez de faire partie d'une expérience menée par un laboratoire de psychologie sur la mémoire. Vous êtes le « maître », et dès que l'élève donne une mauvaise réponse, vous le punissez par une décharge électrique de plus en plus puissante. Que faites-vous é Sous la pression verbale de l'expérimentateur, la plupart des maîtres ont infligé des décharges élevées, jusqu'à 450 volts - les plus intenses - tout en sachant que celles-ci étaient mortellement dangereuses (les décharges étaient en fait fictives, et l'élève un comédien qui simulait la douleur). Faut-il en conclure que la force de l'autorité nous transforme en tortionnaires en puissance é Il faut souligner que les situations expérimentales ont donné lieu à des résultats contrastés. Dans une des conditions expérimentales, où les maîtres étaient placés à quelques dizaines de centimètres de l'élève, 40 % allaient jusqu'aux décharges maximales. En revanche, s'il est libre de choisir lui-même l'intensité du choc, donc dans une situation de plus faible autorité, le sujet reste généralement très modéré.
Il n'empêche, ces résultats, spectaculaires même pour Milgram, et qui ont suscité de vifs débats, attendaient une explication. Les sujets ne pouvaient-ils pas s'opposer à l'expérimentateur, puisqu'ils avaient conscience des conséquences de leur obéissance é Pour Milgram, ces actions choquantes a priori s'expliquent par la notion d'« état agentique », c'est-à-dire une « condition de l'individu qui se considère comme l'agent exécutif d'une volonté étrangère, par opposition à l'état autonome dans lequel il estime être l'auteur de ses actes ». L'individu, dans cette perspective, estime être engagé vis-à-vis de l'autorité, mais ne se sent pas responsable des prescriptions de celle-ci.
Si Milgram reconnaît que son expérience révèle « la faculté qu'a l'homme de dépouiller son humanité et, pis encore, l'inéluctabilité de ce comportement » dans certaines circonstances, il souligne néanmoins que cette situation expérimentale - un individu solitaire confronté à une autorité - est « une distorsion illusoire de la façon dont les choses fonctionnent dans le monde réel ».
Pour Milgram, ses expériences - qui furent très critiquées, tant sur un plan méthodologique qu'éthique -, autorisent un regard neuf sur les exactions commises par les régimes totalitaires, à commencer par l'Allemagne nazie. Dans ces situations extrêmes comme dans ses études, on remarque un « extraordinaire degré d'asservissement à l'autorité ». Mais l'auteur relativise la portée de ses résultats, en rappelant toutes les situations historiques dans lesquelles la résistance à une autorité malveillante a pu s'élaborer, grâce à l'action collective.